Mieux vivre la transmission génétique
Aborder ici des problèmes liés à la transmission (sujet très délicat) n’est pas chose aisée. Des questions seront posées, des réponses attendues. Il y aura bien sûr des manques, des oublis.
Mais il y aura, je l’espère, une mise en perspective qui aidera les personnes qui s’interrogent sur la transmission et, surtout,corollaire de celle-ci, tenter de revoir la culpabilité qui l’accompagne.
Pour avoir été témoins des méfaits de cette culpabilité, depuis de longues années maintenant, il m’a semblé nécessaire de faire le point.
Avant tout revenir sur la transmission génétique
Notre génome est constitué de près de six milliards d'éléments d'information appelés nucléotides. Chaque parent fournit trois milliards de nucléotides à son enfant. Comme on peut le voir, le nombre d’éléments impliqués lors de la transmission à sa descendance est important.
Selon les études de fréquences de transmission le nombre d’« erreur » serait compris entre 60 et 200. Cette fourchette importante s’explique par le mode de calcul pris en compte dans les études. Pour autant, si l’on rapporte le nombre d’anomalies au nombre d’éléments transmis, c’est très peu.
Il faut distinguer deux types de transmission : héréditaire et mutations spontanées.
- La première induit que l’un des parents au moins est atteint.
- La seconde induit une erreur de réplication qui entraine une mutation qui sera reproduite au cours des cycles cellulaires suivants.
Ce processus est lié à la reproduction, pour toutes les espèces vivantes. En général, les mutations n’ont pas ou peu d’effet sur la personne. Seul un petit nombre de ces mutations induisent une anomalie entrainant une maladie.
La complexité du sujet
La transmission implique la reproduction.
Il y a donc deux aspects distincts qu’il faut prendre en compte :
• les personnes se sachant atteintes du syndrome de Marfan et qui décident de faire un enfant ;
• et les personnes qui ont découvert le syndrome de Marfan après avoir fait des enfants.
Ces deux aspects induisent des réponses et des réactions très différentes. Pour les uns il y a la connaissance, pour les autres c’est l’ignorance qui entre en jeu. Les réponses à apporter sont donc de natures très différentes. Comme pour toute situation, la connaissance permet la réflexion, l’anticipation et la prise de recul. L’ignorance, au contraire, induit une découverte tardive, soit à l’occasion d’un drame familial, au travers de pathologies de l’enfant, c’est toujours un traumatisme pour les parents. En effet cesanomalies arrivées avec l’enfant, remettent en question l’intégrité des parents. Intégrité personnelle, filiale, mais aussi sociale.
Notre culture impose une représentation de l’enfant rose et joufflu, sorte de « bébé Cadum », enfant parfait. Les parents, et plus généralement la famille élargie, vivent dans cette représentation sociale.
L’apparition d’une « anomalie » génétique chez leur enfant a plusieurs conséquences.
Le questionnement d’abord. D’où cela vient-il ? Qu’avons-nous fait ? Pourquoi nous ? Que va-t-il devenir ? Que « payons-nous » ? Qui est responsable ? La pression sociale liée à la non-conformité des représentations, ces parents ont spontanément des difficultés à l’assumer.
Ces premières interrogations mettent en évidence une chose qu’il est difficile d’admettre : il y a, avant tout, blessure narcissique. Bien sûr, le rôle de parents vient tout de suite prendre le relais et l’on pense au bien-être de l’enfant, on s’inquiète pour son devenir. Mais la réaction première, souvent inconsciente, est de se sentir puni de l’anomalie de l’enfant, de se poser en victime.
Comme le dit S. Korff-Sausse à propos du handicap : Le handicap questionne le mythe des origines, origine au sens des commencements, par la scène primitive : d’où vient-il cet enfant qui ne nous ressemble pas ? Au travers de ce questionnement, il y a une sorte de mise à distance entre les parents et l’enfant.
La quête d’une causalité
Une des caractéristiques de l’esprit humain est de ne pas accepter le non-sens et vouloir attribuer à tout prix une signification aux événements et plus généralement aux phénomènes qui se produisent, car tout est préférable à l’absurdité de cet événement aberrant, imprévisible, qui nous tombe dessus.
Désigner une cause, c’est donner un sens à l’impensable, ramener l’égarement de la nature dans la rationalité. Les personnes concernées par l’apparition d’une maladie génétique cherchent une cause connue, identifiable, précise, objectivable, organique. Tout est mieux que l’incertitude, qui laisse la porte ouverte aux fantasmes concernant une faute imaginaire.
En l’absence de diagnostic, la responsabilité incomberait alors aux parents. Paradoxalement, dire aux parents : « vous n’y êtes pour rien » déclenche une incrédulité angoissée, car ils ont besoin d’y être pour quelque chose. L’absence de causalité définie a pour effet de les destituer de leur rôle parental, introduisant ainsi une rupture intolérable du lien de filiation qui les unit à cet enfant.
Lorsque le diagnostic est précis, la famille subit un choc violent à l’annonce de la maladie génétique, mais elle sait à quoi faire face, elle a un ennemi identifié. L’incertitude nourrit l’ambivalence et freine l’acceptation de la réalité.
La place : L'intégrité sociale et filiale Marfan transmission génétique
Il est important de savoir de quelle place les parents ressentent ou vivent les choses. Etre porteur ou non du syndrome, être le conjoint du porteur, être les parents du porteur ou au contraire les parents du conjoint du porteur.
Selon la place que nous occupons les réactions sont différentes. Il y a ensuite la particularité des personnes en couple qui découvrent, avant de faire un enfant, que le conjoint est porteur du syndrome. Pour le porteur du syndrome, la question, le plus souvent, est la suivante : vais-je faire un enfant ? Derrière cette interrogation, on peut y lire en filigrane : vais-je me reproduire, vais-je transmettre le syndrome ?
Pour le conjoint, les questions sont d’une autre nature : vais-jeprendre la responsabilité de faire un enfant atteint du syndrome ?
Pour autant c’est oublier que son(sa) conjoint(e), porteur(se) du syndrome, l’a séduit(e), avec toute les composantes qui le/la constituent, syndrome compris, même s’il ne savait pas avant. Que ce soit physiquement, affectivement ou intellectuellement, c’est aussi parce qu’il/elle s’est construit en étant porteur du syndrome qu’il/elle est cette personne aimée.
On voit au travers de ces interrogations que la principale préoccupation des parents reste la transmission, mais comme il est écrit plus haut, c’est aussi l’intégrité filiale et sociale qui est en jeu.
On fait porter à la mutation génétique des pouvoirs ou des croyances irrationnels. En effet, le degré d’atteinte de l’enfant à venir n’est pas connu, ni même encore prédictible. C’est donc bien de représentation dont il s’agit.
Pour le parent porteur du syndrome, il peut envisager le devenir de l’enfant à travers sa propre histoire. Le poids de la représentation catastrophique que l’on a de la transmission génétique à ses propres enfants indique bien le degré de fantasmes qui est présent, plus persistants que les réalités, et ce, que ce soit pour le parent porteur du syndrome ou l’autre parent.
Ces interrogations, légitimes puisque ce sont celles que la majorité de parents se posent, ont tendance à « polluer » notre clairvoyance et nous défourne d’un objectif important à mes yeux :prendre de la distance afin d’avoir toujours à l’esprit que notre enfant, ce n’est pas nous.
Sans elle, les réactions d’origine narcissique sont renforcées et il est alors de plus en plus difficile d’avoir un rôle éducatif serein. Dans le cas contraire cela implique que l’aspect narcissique est encore plus présent, et plus il sera présent plus la prise de distance sera difficile.
Le couple : deux personnalités associées Marfan
Si l’on se place du point de vue anthropologique, le couple est une nouvelle structure, ou entité sociale, formée de l’association de deux êtres, deux personnalités.
Cette association est, comme toute association de personnes, fragile, instable, sujette à dissensions, mais aussi pleine de promesses que l’on attend. Originellement cela vient de la notion de perpétuation de l’espèce. C’est notre part animale qui est enfouie en nous, mais bien présente.
Le couple est l’étape précédant le statut de parents, la préparation à la fonction de géniteurs ayant pour mission la perpétuation de l’espèce.
C’est également cette part animale – on pourrait dire biologique – qui est touchée lorsque l’objet de la reproduction, l’enfant, porte en lui un « défaut », une anomalie génétique. C’est cette mission qui n’est pas totalement ou mal remplie pour cette structure sociale qu’est le couple.
Elle est aggravée par la blessure narcissique. Le malaise commence, et avec lui le processus de culpabilisation, de manière insidieuse mais terriblement efficace.
Les mécanismes de la culpabilité
Une étiologie (science qui étudie les causes des maladies) détectée et reconnue de l’accident génétique ne suffit jamais à soulager la culpabilité – impitoyable et irrationnelle – d’avoir mis au monde cet enfant-là.
Le diagnostic posé n’empêche pas les parents de s’imaginer d’autres causes : telle mère se culpabilise d’avoir pris des médicaments pendant sa grossesse, telle autre pense avoir été exposée au nuage de Tchernobyl (ou de Fukushima), telle autre encore se reproche d’avoir réalisé un avortement avant cette naissance, etc.
La recherche d’autres causalités (organique quand la cause parait psychique ou psychique quand la cause parait organique) constitue une manière désespérée de se dégager de ce qui est de toute façon vécu comme une mise en accusation.
Tout diagnostic évoque une culpabilité. Tout se passe comme si les parents cherchaient à la fois à donner une forme précise à cette culpabilité (la recherche d’une étiologie), mais aussi à y échapper (le refus du diagnostic), ce qui provoque des attitudes paradoxales.
La naissance de cet enfant différent réveille des idées de faute, en complète opposition au savoir médical objectif. « Responsable mais non coupable » disait-on à propos d’une affaire qui a défrayé la chronique.
Pour ces parents la proposition est inversée : « Pas responsable, mais de toute façon coupable ». En droit, responsabilité et culpabilité sont dissociés, mais pas dans la psyché, qui est d’une sévérité implacable à l’égard d’elle-même.
A propos de l’origine de cette anomalie génétique, une mère dit : « il n’y a pas de réponse, c’est un mystère ». Mais de quelle réponse à quelle question ? Sa phrase suppose une question muette, non formulée.
Question implicite et implacable : « Pourquoi ? Pourquoi moi ? En quoi y suis-je pour quelque chose ? Quelqu’un qui a un accident de voiture et qui se retrouve dans un fauteuil roulant, ça se comprend, mais là, c’est un accident génétique, ça ne se comprend pas ! ». Ce qui reste incompréhensible, c’est l’accident génétique qui, à travers l’idée de gènes, évoque l’idée d’hérédité.
Une culpabilité partagée
Mais la culpabilité n’est pas réservée aux parents, l’enfant met également en place toutes sortes de théories pour s’expliquer sa différence. Pour lui aussi l’absurde est intolérable et il doit en trouver la raison.
Celui-ci a tendance à s’attribuer la responsabilité de ce qui arrive (suivant la toute-puissance de la pensée qui régit le fonctionnement psychique infantile). Il se désigne lui-même comme la cause de cette anomalie. La question : « Qu’est-ce que j’ai ?» se transforme alors en : « qu’est-ce que j’ai fait ? ». L’enfant est terriblement conscient d’être à l’origine du malaise(voir de la dépression) de ses parents. Dès lors, il est comme atteint d’une double blessure, d’une double peine. Blessé dans son corps (et dans son esprit) par cette différence génétique dont il subit les conséquences parfois pénibles, et souvent dévalorisantes à ses yeux.
Il porte aussi le poids d’une autre blessure, plus symbolique : la blessure qu’il inflige à ses parents. Il doit faire face non seulement aux tracas liés à l’atteinte de son syndrome mais encore à l’angoisse qu’il suscite chez eux. Etre la cause de leur chagrin est la source d’une lourde culpabilité.
Elle entraîne chez certains enfants une spirale de conduites qui sont autant de façons de mettre en jeu cette culpabilité ou de s’y dérober. Ils cherchent à échapper à une culpabilité trop lourde en la projetant sur l’extérieur. D’accusés ils deviennent accusateurs : « C‘est de ta faute, pourquoi tu m’as fait ainsi ? ».
Tel pourrait être le reproche qu’ils adressent aux parents. Ils ne le formulent pas, ou rarement de façon aussi ouverte, mais ils l’expriment par leurs comportements provocateurs qui accablent encore un peu plus les parents, comme s’il fallait qu’ils payent un peu plus encore.
Les pistes de leviers d’actions sur la culpabilité
Comme on peut le constater cette notion de culpabilité est vaste et complexe, elle prend des formes différentes pour chacun d’entre nous, mais est toujours présente.
Les motifs de la culpabilité sont souvent irrationnels et ancrés au plus profond de nous, qu’ils touchent à la symbolique humaine, à l’idée ou la représentation de ce que doit être notre rôle de parents, représentation dictée par la notion de « perfection » humaine et sociale.
On a vu que l’enfant est aussi dans cette logique de culpabilité et qu’il a, lui aussi, des questionnements, des craintes dès lors que la problématique n’est pas assumé par les parents et librement discutée avec eux. Le mécanisme de la culpabilité n’attend pas le nombre des années pour être vivace. Il fait partie de la nature humaine, et, est souvent lié à l’imaginaire, aux représentations.
Les enfants, eux, ont une imagination débordante et n’ont pas encore les moyens d’apporter des réponses « sensées », ni de prendre de la distance. N’exigeons pas d’eux ce qui est déjà difficile pour nous.
La prise de distance vis-à-vis de ces représentations est unecondition indispensable à la tenue de ce rôle parental.
La connaissance de soi, l’acceptation de ces mutations et de cette hérédité, la « dédiabolisation » de la maladie, tous ces éléments sont des pistes d’amélioration.
Il n’y a malheureusement pas de recettes toutes faites.
Le couple souffle d'espoir
Il y a plusieurs questions auxquelles il serait bon de réfléchir afin de passer de l’inquiétude à la quiétude (modérée certes, mais toujours plus constructive que l’inquiétude palpable) : qu’est-ce que m’apporte la culpabilité (quel bénéfice caché) ? A quoi me sert cette image de perfection que je veux donner (et à qui) ? Serais-je moins bon conjoint, parent, si je ne suis pas parfait, conforme à l’image que j’aimerais donner ? Est-ce que je rends service à mon conjoint, à mon enfant en restant dans la culpabilité ?
Ces questions, pistes de leviers d’actions sur la culpabilité, sont un préalable à toute tentative d’amélioration.
Le grand danger serait de croire que nous sommes assez forts pour faire face, seuls, à toutes ces questions.
Cela conforterait encore plus cette image de perfection, qui nous habite parfois, et qui est souvent source même du mécanisme de la culpabilité. Il existe des moyens pour se faire aider, accompagner, dans cette épreuve.
Explorez-les, envisagez-les, non comme des « béquilles » à vos faiblesses, mais comme des marques de votre force, de votre conscience.
Philippe Brunet
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